Vernissage + Performance
Samedi 20 avril -18h30
Vidéo
TCGPArtiste invité : Hadrien Gerenton
Avec la participation de Paula Adory, Théo Roux, Mahdi Sehel
Cette résidence constitue le deuxième temps d’un partenariat entre Glassbox et SPACE. Elle fait suite à l’exposition personnelle de Soufiane Ababri à Londres ♪ Here is a Strange and Bitter Crop ♪♪, état des lieux de ses réflexions sur les relations d’interdépendances entre sport, pouvoir et sexe. Ces trois éléments sont ici réexaminés à l’aune du contexte socio-culturel parisien.
L’ouvrage de l’historien américain Todd Sheppard, Mâle, Décolonisation1(1), est le point de départ de cette résidence. Le texte vise à mettre en évidence les relations entre deux évènements : l’indépendance de l’Algérie et les mouvements de libération sexuelle liés à Mai 68. La figure de l’« homme arabe » semble cristalliser les problèmes plus généraux soulevés dans les débats politiques, sexuels et identitaires en cours. Tandis que l’extrême-droite perçoit Mai 68 comme une conséquence de la défaite française en Algérie (et de la décadence morale qu’elle aurait engendré), une partie de la gauche projette dans la révolution algérienne ses aspirations politiques, tout en revendiquant une connivence avec les populations maghrébines, bien souvent dans une optique de provocation à l’encontre de l’ordre bourgeois et patriarcal. C’est notamment le cas du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire), fondé en 1971. Détournant le célèbre manifeste des 343(2) publié quelques jours plus tôt dans Le Nouvel Observateur, les membres du FHAR déclarent :
Nous sommes plus de 343 salopes
Nous nous sommes faits enculer par des arabes
Nous en sommes fiers et nous recommencerons(3)
Soufiane Ababri s’intéresse aux conséquences politiques et culturelles de ces discours dans les rapports de domination entretenus entre différents groupes sociaux-culturels. Ses travaux s’attachent à montrer comment les corps sont investis d’une histoire qu’ils n’ont pas vécu. Les scènes homo-érotiques aux crayons de couleur sur papier de la série Bedwork s’inscrivent dans ces réflexions sur l’intime et le politique.
La survivance de ces schémas de représentation dans la culture gay se traduit dans l’exposition par la mise en crise de figures stéréotypées, du « lascar » au « twink », présents dans les dessins comme dans la performance, interprétée par Paula Adory, Théo Roux et Mahdi Sehel. Les trois personnages, captifs de leur condition, surjouent les types identitaires auxquels ils sont assignés. Les interactions sont restreintes à des contacts aussi courts que violents. Les produits qui les recouvrent (déodorant, maquillage, produit d’entretien,) ainsi que les muscles énoncés, renvoient, par rappels olfactifs et sonores, à leurs activités respectives (sport, danse, ménage). Les protagonistes se distinguent dans leur appropriation de l’espace et des objets en présence, produits par Hadrien Gerenton pour l’exposition. Les dispositifs de musculation qui balisent le territoire deviennent successivement outils de culturisme, accessoires de danse, surfaces à nettoyer. Il en est de même pour les facsimilés de Capri Sun et de paquet de Camel de contrebande, que le personnage féminin s’épuise à réordonner, tandis que les deux hommes en jouissent. Ils évoluent ainsi dans un cadre dont la scénographie toute entière (nuances de gris béton recouvrant les murs, blanc de Meudon occultant les vitres, grondements oppressants de mobylettes sur fond de PNL), concoure à reconduire et fixer ces stéréotypes dans une dialectique constamment reformulée entre fantasme et domination.
1. SHEPARD, Todd, Mâle, Décolonisation, L’« homme arabe » et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne, trad. Clément Baude, Paris, Payot, 2017, 398 pp.
2. 343 femmes parmi les personnalités publiques et intellectuelles de l’époque y affirment avoir eu recours à un avortement, s’exposant alors à des poursuites pénales. Le manifeste, rédigé par Simone de Beauvoir, appelle explicitement à la légalisation de l’IVG
3. Déclaration du FHAR dans le journal Tout! Avril 1971.
4. On pense notamment à des studios comme Citébeur, qui exploitent le fantasme du « beur », catégorie particulièrement populaire dans la pornographie gay française.
Visuels : Courtesy Galerie Praz Delavallade